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Jet d’encre
"After Tears" ou la plongée dans la nation Arc-en-ciel des bas-quartiers
Niq Mhlongo
dimanche 26 octobre 2014, par
"J’ai rencontré une fille à un enterrement, il y a quelques mois. Quand je l’ai vue au bord de la tombe ce jour là, je savais qu’elle serait mienne"
Niq Mhlongo est une des étoiles montantes des lettres noires Sud-africaines. Je précise, à dessein, "noir" évidemment car ce pays au paysage littéraire riche de prix prestigieux (dont des Booker Prize et des Nobel), l’absence d’auteurs – prestigieux – autre que caucasiens est plus que marquante. Évidemment, le passé pénible de ce pays explique aisément la situation historique. En entamant un cycle de lecture siglée "Afrique du Sud" j’étais donc curieux de lire ce que des auteurs qui ont une expérience Noire de l’Afrique du Sud auraient à nous dire. Il va sans dire que j’avais des à priori très forts sur ce que je pensais que je lirai. Impossible d’envisager une lecture Sud-africaine sans penser à l’Apartheid, au grand Shaka ou au Madiba Mandéla. Mon esprit de lecteur avait tous ces clichés très profondément ancrés en lui jusqu’à ce que je tourne les pages du "After tears" de Niq Mhlongo.
" ’Chaque jours, j’étais en compétition contre un millier d’autres personnes fouillant les déchets pour y trouver du papier et du plastique, Avo. Exactement comme ceux que tu vois là. J’ai travaillé à Goudkoppies sept jours sur sept pendant presque huit ans ; je ne gagnais qu’entre 100 et 200 rands par semaine. Je me nourrissais d’eau sucrée et de pain.’
Son aveu me plongea dans un silence choqué.
’Je crois savoir ce qu’est la pauvreté, Avo. Je manipulais les déchets médicaux - seringues usagées, goutte-à-goutte, draps ensanglantés et pansements. J’inhalais les émanations toxiques de produits chimiques en état de décomposition. On luttait contre des rats gros comme ça.’ Il me montra leur taille sur le tableau de bord."
Dans son "After tears", Niq Mhlongo nous fait vivre une partie de la vie de Bafana Kuzwayo, étudiant en droit qui s’en revient dans son Johannesburg natal non pas bardé des diplômes que toutes la famille lui espère, mais accablé par un échec cuisant à ses examens. Échecs qu’il n’a pas le courage d’avouer à sa mère-courage, ses oncles hauts en couleurs ou, tout simplement, tout ce quartier qui voit en Bafana la personnification de tous leurs espoirs de sortir du ghetto et de la misère.
Tout au long de ces quasi 300 pages, Bafana va voir comment, à cause de ses mensonges – notamment le fait que l’université aurait "confisqué" son diplôme parce qu’il n’a pas payé ses frais scolaires – toute sa famille va être déstabilisée. C’est l’occasion pour le lecteur de découvrir les personnages hauts en couleur des bas-quartiers, de voir les turpitudes de toute la famille de Bafana fait d’arnaques aux programmes sociaux de relogement, d’accaparement de la propriété d’autres personnes. Le lecteur aura des sentiments contradictoires devant une la mère prête à tout pour son fils, même à vendre la maison familiale dans le dos de ses frères… bref, un plongeons dans le quotidien de petites gens des quartiers pauvres de Jo’burg.
"Si t’es noir et que t’as pas réussi à t’enrichir dès la première année de notre démocratie, quand tonton Mandela est arrivé au pouvoir, alors tu peux tirer un trait sur tout ça, bro. Le train de la poule aux œufs d’or t’es déjà passé sous le nez et, tout comme moi, tu vivras dans la pauvreté jusqu’à ce que tes poils de barbe grisonnent. Le pont entre les Richards et les pauvres a déjà été détruit. La voilà la dure réalité de notre démocratie."
Ce qui surprend dès le début donc dans ce livre c’est qu’il n’est quasiment jamais question d’apartheid ni de Mandéla dans le récit de Niq Mhlongo. Bafana est âgé d’environ un quart de siècle, il est d’une génération post-Mandéla, n’a pas vraiment connu les luttes dans leurs moments les plus chauds et est donc plus focalisé sur des problématiques sociales aussi universelles que la réussite quand on vient d’un milieu défavorisé. Niq Mhlongo laisse entendre, bien sûr, que ses personnages sont issus d’une histoire qui les a vu vivre dans la misère mais jamais il ne les enferme dans un passé pourtant plombant. Les personnages sud-Africains de Niq Mhlongo ont des problématiques aussi banales que le sentiment amoureux et les relations d’avec l’autre genre, surtout pour Bafana qui a l’aura de "L’avocat célèbre".
" ’... laisse-moi te dire un truc malin. Tu sais que c’est dangereux de refouler ses sentiments pour une fille, pas vrai ?’ Il avala une gorgée de whisky. ’C’est comme contenir un pet dans ton estomac quand tu sais que tu as envie.’ Il reposa son verre. ’Il ne faut jamais faire ça. Si tu n’expulse pas ton pet, il va remonter le long de ta colonne vertébrale jusqu’à ton cerveau. Et tu sais quoi, Avo ? C’est comme ça que naissent les idées merdiques. C’est pour ça que la plupart des gens de Chi, soit ils sont gays, soit ils violent femmes et enfants. Parce qu’ils ont peur de prononcer les trois lettres.’ Il leva trois doigts de sa main gauche pour accentuer ses propos. Pas ’VIH’, mais ’Je-tê-meu’ "
Les personnages sud-Africains, Noirs, de Niq Mhlongo semblent vivre totalement à l’écart des blancs Sud-africains et ont parfois des réflexions sur la richesse culturelle Noire qui peuvent choquer un lecteur qui, comme moi, a grandi en admirant les danse Zoulou ou en hurlant le "Bahte y nkozi !!" avec Shaka Zoulou. Mais, en fait, ces questionnements sont les mêmes que ceux de nombreux jeunes à travers le continent africain.
" - Les seuls noirs qui préservent notre culture sont ceux qui ont du mal à s’élever au-dessus des miasmes de la pauvreté, mama. Ce sont ceux qui vendent des fruits et légumes dans les boutiques Spaza, ou des cuisses de poulet sur les trottoirs.
quel rapport avec les langues africaines ?
On ne peut pas formuler de grandes pensées dans les langues africaines, mama, et on ne peut pas sortir du township non plus. Je ne veux pas être coincé à Soweto pour le restant de mes jours. Tu sais, quand j’entre dans notre maison à Chi, je respire la pauvreté à plein nez. "
Bien que j’ai, au final, aimé cette histoire narrée avec une plume moderne et sans fioriture, une histoire bien menée faite de hauts, de rebondissements, cette longue plongée dans le quotidien d’une Af-sud contemporaine qui nous sort des thématiques trop souvent ressassées quand il s’agit de ce pays ; je ne peux m’empêcher de regretter un certain manque de souffle dans ce récit du quotidien. Bien sûr, ce roman vaut tous les reportages socio-machin sur, un aspect, de la nouvelle Afrique du Sud, mais une histoire qui accroche plus le lecteur, qui aurait eu plus d’envergure, accompagnée par cette écrire dépouillée et dynamique, eut été un délice.
"Être Aimé, c’est important parce que ça facilite ta capacité à aimer en retour"
Ce livre m’a procuré un très bon moment de lecture mais… mais je ne peux passer sous silence cette fin totalement – à mon sens – manquée. Une vraie déception alors que, justement, l’histoire commençait vraiment à prendre à la gorge avec ce Bafana qui avait de plus en plus de mal à se dépêtrer de son accumulation de mensonges ; soudain ce final…
PALABRES AUTOUR DU ROMAN : "After Tears" de Niq Mhlongo
After Tears
Niq Mhlongo
Éditions Yago, 2010