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JET D’ENCRE

Flic ou caillera - Chant d’un Signe dionysien

Rachid SANTAKI

dimanche 9 juin 2013, par Doszen

Mon second SANTAKI est plutôt un cru sympa.

L’auteur reprend l’environnement et de nombreux personnages rencontrés dans "Les anges s’habillent en caillera" (éd. Alvik, 2011), notamment la mythique famille BENSAMA, les bosses du 9-3 ainsi que les flics ripoux Stéphane et Mickael. Mounir, Sérigné également errent dans ce quatrième opus.

Mehdi est un gamin de Saint-Denis qui se bat seul avec sa mère pour survivre aux huissiers, trouver sa pitance quotidienne et régler les frais d’avocat de son petit frère tombé plusieurs fois pour des business de petites envergures, pendant que son grand-frère, qui a réussi à s’échapper de ce marécage, mène une vie d’acteur au cœur de Paris.
Mehdi est un tagger de talent, travaille à l’Agence Du Médicament, a une petite amie qui l’aime et essaie de rester le plus loin possible du business. A travers son regard on "voit" le business des BENSAMA, l’ultra-violence, les flics ripoux, les arracheurs de l’A1, la passion des taggers, l’irruption des crackers sur la guerre de Saint-Denis, tout cela dans l’ambiance émeutière de 2005, quand la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois a mis le feu aux cités.

A côté de lui, Najet, petite fliquette qui revient sur les terres de sa naissance en quête du père. Fille de junkie et de flic au préservatif récalcitrant, elle a été élevée dans un internant loin du 9-3, dans le culte de son père, policier aux idéaux intacts, et à la passion de cet endroit qui a vu la déchéance de sa mère. Elle y revient, en chasse personnel, pour dénicher les preuves de la responsabilité du MEDICAMENT dans le cancer de son père.

Vous l’aurez compris, Rachid SANTAKI surfe sur l’actualité des émeutes de 2005 et sur l’affaire Médiator pour camper son histoire de flics et voyous.
L’histoire est plutôt réussie, avec une foultitude de personnages plus sombres que jamais. Des situations tendues, dangereuses, de la noirceur, de la désespérance, de l’action et des accélérations du rythme cardiaque. Les amateurs de romans policiers apprécieront.

Apprécieront-ils le style de SANTAKI ? L’auteur garde sa marque de fabrique qui est d’ancrer le récit dans le vocable de la Seine-Saint-Denis jeune et violente. Le phrasé est urbain, résolument actuel et certains pourraient ne pas s’y retrouver. Bien que, comparé au roman "Les flics s’habillent en caillera", nous lisons une évolution dans l’écriture de SANTAKI qui se permet des incursions – tel un slammeur – dans la danse des mots et se sort de la simple description des situations, pour un parti pris un peu plus poétique.

"La banlieue nord a les mains sales, fait dans l’illégal : came, claque et canne si tu parles ou te sers dans les liasses. Elle fait de phénoménaux paquets de billets avec son trafic de cocaïne. La banlieue piétine le code pénal. Fric, zik. Coke à grosse dose, carotte, bizz, tous les coups sont permis. Dans le bizz, tout le monde se trahit, même ceux qui se font la bise."

La densité des personnages également s’est grandement améliorée. Quand dans son premier roman SANTAKI nous présentait un sympathique épisode – certes survitaminé – d’un policier français, cette fois-ci il prend plus de temps pour nous montrer qui est réellement le personnage, rentre dans sa vie, ses blessures, ses rapports conflictuels, ambigües avec sa mère, ses frères, ses amis – Julien notamment – ou son quartier. Les personnages périphériques tels que Najet sont un peu plus dense, même si parfois il y a des "trous" dommageables, et un personnage comme Saïd, ultra-violent, apparait toujours avec aussi peu de nuance.

Cependant, cependant. Bien que la mise en perspective en 2005, sur fond d’émeute, soit bien utilisée, les nombreuses digressions sur l’histoire Zyed et Bouna tombent comme un cheveu sur la soupe.
"Les CRS violent qui agressent les jeunes", dans la bouche – ou les pensées plutôt – de Mehdi, sachant l’environnement qu’il décrit lui-même disqualifie ses propos car, durant tout le livre, on a plutôt envie de dire "foutez-moi plus de flics dans cette marre au crabe et qu’ils n’hésitent pas à utiliser de l’Uzi !"
De même pour l’histoire parallèle sur "le MEDICAMENT" qui donne une sensation d’inachevée. Non pas qu’il eût fallu ne pas l’introduire mais, ce faisant, il aurait alors fallu y mettre plus de complexité, plus de densité. Là on a l’impression que SANTAKI a utilisé une histoire "bon filon" pour n’en faire qu’un prétexte. La quête de Najet aurait mérité plus de pages. Dommage.

La réutilisation d’un environnement déjà planté dans les précédentes œuvres de l’auteur n’est pas pénalisante pour ceux qui commenceraient par cet opus ci. Pour les déjà lecteurs de SANTAKI, ils retrouveront avec un certain plaisir un univers déjà connu sans qu’il y ait – comme déjà dit – sentiment de redondance. Bien que l’on s’alerte tout de même sur un risque d’enlisement de l’auteur dans cet univers. L’avenir se chargera surement d’apaiser nos craintes.

Au finale, Rachid SANTAKI nous offre un très sympathique roman qui reste dans son univers de la Seine-Saint-Denis sans qu’il n’y ait – encore – de sentiment de lassitude d’une surutilisation de ce thème. La lecture est fluide, l’histoire suffisamment distrayante et dépaysante pour que ceux qui n’évoluent pas dans la galaxie urbaine de SANTAKI trouvent du plaisir à le lire.



"Flic ou caillera"

Rachid SANTAKI
Édition du Masque, 2013


Voir en ligne : Site de l’auteur