Les seules limites sont celles que nous nous imposons

Accueil > Mes lectures > Kiffe kiffe demain - des jours, des vies, du béton

Jet d’encre

Kiffe kiffe demain - des jours, des vies, du béton

Faïza GUENE

mercredi 12 septembre 2012, par Doszen

(Mise à jour vidéo le 01/10/2012)



Frais et rafraichissant. Les mots qui nous squattent le crâne après ces quelques heures de lecture. Frais, rafraichissant.
Ce livre ne révolutionnera pas la littérature de genre, et c’est là justement sa vraie force. Un livre no prise de tête, no torturage de méninge qui n’a pour seule ambition que de vous raconter une jolie histoire, triste, émouvante et avec un humour semi-noir d’ado désespérée qui ne tombe jamais dans le cynisme. Ouf !

Et cette histoire ? Ben, c’est la magnifique banalité de la vie. La vie d’une pré-ado, engluée dans sa galère quotidienne entre un père en délocalisation au bled dictée par une contrainte sociale – à la recherche du rejeton mâle – et une mère qui cache ses poussées dépressives à l’unique fille qu’elle doit porter vers la réussite.

La gamine, seule dans sa tête, se raconte.

Raconte son quotidien de galérienne qui s’attife de friperies – "aller au Secour Populaire du centre-ville, c’est trop l’affiche" –, qui mange à crédit par la grâce de "…Aziz, notre fameux épicier de Sidi Mohamed Market, l’épicier le plus radin de la terre…" et qui subit, dans le silence, les railleries des gamines de son âge.

Elle se raconte les rencontres d’avec l’assistante sociale, cet être particulier - "Je la trouve conne et en plus, elle sourit tout le temps pour rien. Même quand c’est pas le moment. Cette meuf, on dirait qu’elle a besoin d’être heureuse à la place des autres" -, pour laquelle elle finira par avoir une vraie tendresse.
L’univers des assistantes sociales est aussi impitoyable pour elles que pour les pauvres âmes qui vivent les brulures de leur dalle, hélas.

Elle se raconte l’ascension sociale de "Hamoudi", ce voisin fumeur de bédos qui "passe son temps à fumer des pétards. Il est tout le temps déconnecté et je crois que c’est pour ça que je l’aime bien. Tous les deux, on n’aime pas notre réalité". Il squatte les halls, rase les murs, l’air perdu dans cette vie qui sent le dead-end et dont seul un ange-mère, à l’histoire aussi complexe que le béton qui accueille cet amour, saura le sortir.

Elle se raconte sa scolarité sans passion, sans saveur qui finit, sans même la moindre rancœur, en réorientation "CAP coiffure". Ce n’est pas loin du "CAP chaussure" d’OXMO, et la gamine s’y découvre une âme de fonceuse.

Elle se raconte sa mère qui découvre la liberté que confère l’écriture, la lecture, le travail. On dirait un slogan de capitaliste américain. La mère n’en a cure. Elle a perdu un homme et a gagné une vie qui retrouve le sourire.

"… Mme Dubidule, la Barbie qui nous sert d’assistante sociale, qui a aidé maman à trouver sa formation alternée. Alternée ça veut dire que tu jongle avec deux trucs différents. Comme quand tu mélanges sucré et salé ou mari et amant. Maman, elle va suivre une formation d’alphabétisations. On va lui apprendre à lire et à écrire la langue de mon pays."

Elle se raconte ce père, ce père source de toute sa rancœur, ce père qu’elle a désespéré parce que "fille", ce père parti "par sa faute", ce père source de blessure, de culpabilité que la psychanalyste – "Mme Burlaud, elle est vieille, elle est moche et sent le Parapoux" – devra aider à cicatriser. Faire la paix avec son passé afin de chasser les démons qui barreraient l’avenir.

"…Je n’ai aucune photo de moi jusqu’à l’âge de trois ans. Après, ce sont les photos d’écoles…. Ça me rend triste de repenser à ça, j’ai l’impression de pas exister complétement. Je suis sûr que si j’avais eu un zizi, j’aurais une grosse pile d’albums photo"

Elle se raconte… elle se raconte tout en dérision, tout en humour à la despérados, tout en phrasé choc de pré-ado d’une intelligence fulgurante.

"J’ai mes dents de sagesse qui poussent. Ça me fait hyper mal. Je vais être obligée d’aller voir Mme Atlan. Mme Atlan, c’est la dentiste du secteur. Avec elle, faut pas avoir peur. Elle est très sympa mais elle a dû apprendre son métier sur le terrain, pendant la guerre du Golfe ou les invasions turques, je sais pas. En tout cas, elle est plutôt brutale comme femme"

La gamine nous amène dans son univers que l’on pourrait trouver triste, désespéré, rageur et qui en fait est tout en combat, en rédemption, espoir, en vie rafraichissante. Par-dessus tout, cet univers est tout en drôlerie. Tout en humour qui claque, qui fait surgir le sourire en coin même quand les pires galères sont évoquées. L’auto-dérision jouissive des gens qui savent se moquer de leurs problèmes pour passer au-dessus d’eux.

Je l’ai dit, ce livre ne révolutionnera pas la littérature. Simplement, le temps d’un aller-retour Cergy-le-haut – Paris il vous aura fait passer un super moment de détente, vous aura fait sourire, rire et vous aura montré une vie dans le béton qui est une vraie vie. Une vie où les gens aiment, se blessent, se battent, survivent et vivent.


Discussions autour de "Kiffe Kiffe demain" par l’équipe de

Palabres autour des arts



Kiffe kiffe demain – Faïza Guène
Éditeur : Hachette Littératures
Parution : 18 Août 2004