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Jet d’encre

« Le clan des femmes » de Hemley Boum ; le récit de l’intime

vendredi 3 novembre 2017, par Doszen

“Sarah est née dans un village au cœur de la savane, miraculeusement préservé des changements qui bouleversent l’Afrique en ce début de XXe siècle. A sa petite fille qui l’interroge, elle raconte sa vie : mariée à neuf ans à un ami de son grand-père, Sarah est enceinte à peine pubère et grandit en tant qu’épouse dans un foyer polygame. Au fil des pages, on découvre Sarah confrontée aux limites que la société lui impose, aux prises avec l’amour, obsédée par son désir d’enfants. Une femme d’hier et d’aujourd’hui, une femme qui avance, tout simplement.”

Éditeur

Les livres de Hemley Boum font parti de mes plus belles découvertes en littérature africaine de ces dix dernières années. Tour à tour les lectures de "Si d’aimer…" et surtout – quel roman ! – "Les Maquisards" m’ont porté aux cieux comme rarement des textes ne l’avaient fait. Et j’assume parfaitement la subjectivité de mes émotions de lecteurs.

Pour "Le Clan des femmes" l’auteure camerounaise a choisi le récit mémoriel. Elle a choisi de nous faire écouter les confidences faites par sa grand-mère, Sarah, qui, des années auparavant, a fait vivre l’art oratoire pour passer à sa descendance une partie de son histoire familiale. Sarah se raconte à l’auteure et fait un panorama culturel et – presque – ethnologique de sa société.
Sarah a été offerte à "un vieux" dès ses onze ans. La tradition voulait qu’elle ne soit faite femme par son mari seulement une fois qu’elle aurait été réglée mais, même en ces temps lointain, l’hypocrisie seule faisait penser que les poussées pédophiles n’existaient pas. Sarah devient femme, dans la douleur, bien avant son temps et subi une vie de femme qu’on lui a à peine enseignée. Avec une froideur parfaitement retranscrite par l’écriture rêche de l’auteure, Sarah fait vivre au lecteur l’horrible vie de femme qui lui est faite, mais aussi, paradoxe qui met particulièrement mal à l’aise le lecteur, la douceur de la relation qu’elle créé avec Premier Épouse, la première des quinze femmes de cet homme, qui a décidé de la prendre sous son aile. Et là nous suivons la vie de ces femmes, les complexes relations entre elles mais aussi entre elles et le mari. La structuration de la société, les solidarités développées. Suivre Sarah est , pour l’auteure, le prétexte à une plongée dans une culture faites de codes bien précis, de tabous mais aussi de liberté et de révoltes.

« Aînés des neveux, mon frère, arrête là cette chamaillerie, tu sais qu’un grain de maïs n’aura jamais raison devant une poule et aucun homme n’aura gain de cause face à la femme qui a changé ses langes. »

Lire "Le Clan des femmes" de Hemley Boum – sa première publication parue chez L’Harmattan en 2010 – c’est se replonger dans ce qui semble être, pour l’auteure, un désir profond de la transmission, de la remise à la lumière de certains pans culturels et historiques que les mémoires seraient tentées d’oblitérer. Lire Hemley Boum c’est retrouver sa narration, ici encore verte, efficace, sans fioritures, didactique – Un peu trop parfois quand ce désir d’expliquer le contexte, l’environnement prends le pas sur le simple laisser dire de la poésie du récit. Ce qui peut donner une sensation de narration un peu aride car un peu trop sage et manquant d’envolée et de fantaisie.

« Une femme n’a pas besoin d’être intelligente comme un homme, il lui suffit d’être pleinement femme pour qu’aucun homme ne lui arrive à la cheville. »

Lors d’une de nos rencontres "Palabres autour des Arts" j’avais souligné, bien naïvement, la place importante des femmes en littérature africaine, le fait qu’elles aient une voix face aux hommes. Mon exemple parfait, évidemment, c’était la Grande Royale (L’Aventure ambigüe – Cheikh Amidou Kane). Je m’étais fait gentiment reprendre par mon ami Ramcy – avec ce petit ricanement parfaitement agaçant de celui qui a raison - qui souligna "oui, mais femme dépouillée des attributs de la féminité ". Vieille, donc ménopausée et sortie des paradigmes liés à la sexualité. La, seulement là, elle avait la voix au milieu des hommes.

« En tant que femme ménopausée, il savait qu’elle avait parfaitement le droit de diriger les travaux à sa place. »


Dans "Le clan des femmes" de Hemley Boum, celle qu’elle nomme Première Épouse m’a fait remonter le souvenir de cet échange. Dans le "Riwan ou le chemin de sable" de Ken Bugul également celle qui traite directement avec l’homme, le Sérigne - en dehors de l’intellectuelle hippie qui choisit sa position de 27ème femme et qui a une position particulière - c’est la vielle épouse, celle qui n’est plus concernée par les contingences sexuelles. Mais nous savons que chez Boum, dans ses productions d’après ce "Clan des femmes (le)", la construction de la voix féminine passera par des chemins différents de ceux que les écrits francophones, de ma connaissance, ont suivis. Au lieu de cette espèce D’effacement de la féminité, son affirmation avec la prêtresse du Nkô (?) dans "Les maquisards" (la métisse héritière du pouvoir est une femme qui a son lot de drames amoureux, une vie sexuelle faite de frustration - pour le mari - et de plénitude - pour l’amant). Et surtout le personnage de Valérie ("Si d’aimer...") où on est dans une modernité d’affirmation féministe plus attendue - et dont je me serais attendu à voir plus souvent croquée par les nouvelles jeunes plumes.

Chez Boum le personnage féminin porte une voix plus présente que chez une Mariama Ba ("Une si longue lettre"), une Buchi Emecheta ("La dot") ou une Chimamanda Adichie ("L’Hibiscus Pourpre") - qui restent dans un effacement "traditionnel" du personnage féminin, mais ce féminin ne se construit pas en marchant sur ce qui serait les plate-bande du masculin. Il n’exige pas un partage de la vocalise mais affirme une sonorité parallèle, qui ne fait pas d’ombre au baryton masculin, mais est d’une tessiture que l’homme ne peut comprendre, ne peut prétendre dompter. Deux pouvoirs parallèles pour présider aux destinées et non pas l’un qui prendrait le pas sur l’autre et ne créerait de ce fait un effet Iznogood.

Une lecture qui dit des choses, qui apprend des choses, qui ne cherche pas le nian-nian, qui pose les mots et vous laisse les digérer. Ce court et très bon roman est – presque – meilleur que son second ("Si d’aimer..."). Plus intimiste, une vraie tendresse découle pour parler de ces femmes, des moments révoltant pour le lecteur du 21ème siècle que je suis et, toujours, une ode au courage des femmes.
Ce livre est un délice. Un Must read !


« Le clan des femmes »

Hemley Boum

Édition L’Hamarttan

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