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JET D’ENCRE

Remington -... Le blues des X

Mamadou Mahmoud NDONGO

dimanche 10 novembre 2013, par Doszen

... se plonger dans le "Remington" de Mamadou Mahamoud NDONGO (édition Gallimard, 2012) c’est obligatoirement se poser la question de sa réception par les générations futures, par ceux qui exploreront le passé en ethnologue de nos vies d’aujourd’hui et qui trouveront dans ce livre une trace de notre présent.

La littérature, contrairement à la musique par exemple, fait parti de ces arts qui, parfois, parlent d’abord au futur. La musique est un art de l’immédiat, en général, elle parle à la génération du moment et peut, pour les grandes œuvres, transcender le temps et continuer à avoir de l’écho même des siècles après. Mais les plus grandes œuvres musicales ont tout d’abord parlé à la génération du moment. Le livre, le roman, a bien souvent une destinée différente. Les plus grands, de Proust à Anne Frank, ont parfois dû attendre un futur qu’ils n’ont pas vu pour que leurs œuvres parlent aux générations d’après.

Débuter la chronique d’un livre en disant ce qui est écrit plus haut pourrait faire penser que le livre n’a pas plu, que l’on lui cherche des circonstances atténuantes. Non, bien au contraire. Mais se plonger dans le "Remington" de Mamadou Mahamoud NDONGO (édition Gallimard, 2012) c’est obligatoirement se poser la question de sa réception par les générations futures, par ceux qui exploreront le passé en ethnologue de nos vies d’aujourd’hui et qui trouveront dans ce livre une trace de notre présent. Se plonger dans "Remington" c’est se poser la question ; "que pensera de nous les générations 22ème siècle" quand elle regardera dans le rétroviseur ?
Mamadou M. NDONGO s’est attelé à la tâche de se faire passeur. Passeur des vies de ces quadras urbains du 21ème siècle, aux vies quasi caricaturales de bobos parisiens qui se regardent le nombril en se demandant comment ils ont pu en arriver à ces vies vides de sens.
Ok, ok. Commençons par le commencement. Mes sentiments de lecteurs n’auraient pas dû débuter cet article. Quoique.

"Ce sont les enfants de bourgeois qui mènent les révolutions… lorsqu’on n’a pas de ressources, on supporte…"

Miguel Manuel vient de fêter ses quarante et un an et lui n’est pas du genre révolutionnaire. Petit-fils de héros de guerre Espagnol, il brûle par un seul bout une vie de journaliste spécialiste de rock pour le magazine Remington, dardant un regard cynique et caustique sur son colocataire qui, décidément, prend trop de place et l’insupporte, sur son journal, banal entreprise exploiteur de stagiaires et faisant son beurre du faux anticonformisme made in "Les Inrocks". Et surtout, Miguel parle de Esteban, ce frère homosexuel qui a conquis son équilibre à la sueur de son combat pour exister. Miguel parle de Juan Manuel, dit "l’ogre", grand-père à l’ombre duquel ses descendants essaient de trouver un bout de lumière.

"Héros et peintre ou peintre héros de la guerre d’Espagne célébré tant pour son art que pour ses engagements, Ignacio Juan Manuel était au quotidien un homme à l’humanité médiocre…"

Dans un style plein d’humour, fait de petites phrases taquines, assassines, avec une écriture fluide, maitrisée et contemporaine, Mamadou M. Ndongo nous brosse donc milles portraits. Il nous parle de Oumou, magnifique ex-mannequin mais vraie artiste photographe. Miguel parle de Matthias, ami en reconquête de sa femme, de Nadia la cocue, de Dario, de Delphine, Tatiana, et, de, de…

"L’avantage d’être dans un journal d’avant-garde, c’est que vous êtes affranchi des us et coutumes de vos contemporains, et portant, comme tout grand journaliste qui se respecte, je ne lisais pas les articles de mes confrères. Sauf que, nos bureau étant en open space, j’étais au fait des articles de notre numéro spécial sexe de l’été, l’un de nos marronniers, l’une de nos meilleures ventes aussi, donc, quand bien même je n’aurais pas été curieux de la sexualité de mes contemporains, trop préoccupé que j’étais déjà par mes propres fantasmes (toujours pas réalisés), j’avais dû me coltiner les corrections des témoignages du dossier lus à haute voix par Farid et son binôme Ophélie, respectivement séparés par mon bureau."

Manuel parle de lui, de son monde, de son entourage et brosse un portrait assez acide de cette génération X (?) à laquelle il appartient. Génération qu’il juge lui-même creuse car n’ayant eu aucun combat, n’ayant connue aucune cicatrice et se préoccupant plus de son nombril lustré dans le cocon de la douce vie de cette classe moyenne-haute qui fait les tendances.
Le lien est là avec l’introduction de cet article, ce livre est générationnel. L’auteur le dit lui-même. Ce livre parle d’une génération et, peut-être, trop, à cette génération. Mais en plus de parler à une génération, elle est la photographie d’une génération X occidentale, urbaine qui n’a nul autre préoccupation que de ressasser ses démons intérieurs et ses cicatrices psychiques.

"Je suis né des conséquences de la seconde tentative de suicide de ma mère. Comme il se savait sous surveillance, il eut un comportement approprié : celui d’un époux aimant…. Un temps… puis la nature a repris le dessus sur la culture… Ce que j’ai appris en le coudoyant, c’est que le refus de la communication directe est l’arme absolue des pervers."

Alors, les propos de livre parleront sans doute à certains, qui se retrouveront dans cette image générationnelle. D’autres, comme moi, la (re)découvriront avec de petits sourires et beaucoup de curiosité. Certains encore regretteront cette fin que l’auteur a truffé de références musicales, qui donnent l’impression qu’il a fallu "remplir" des pages pour donner une légitimité rock à ce livre. Ces digressions n’ont pas gêné la lecture du non-connaisseur que je suis mais ne lui ont rien apporté de plus, si ce n’est ce sentiment dérangeant que le livre aurait pu se terminer plus tôt et que ça n’aurait rien enlevé à son intérêt, bien au contraire.
Au-delà de ce sentiment de "lire quelque chose de sympa mais un peu longuet", ce livre est du genre de ceux qui vivent et revivent dans le temps car, hormis de parler à ceux d’aujourd’hui, sans vouloir se prendre au sérieux, l’air de ne pas y toucher bien qu’il aborde un grand nombre de sujets questionnants. Il parlera, dans le futur, à ceux de demain de ceux d’aujourd’hui et ça, je le pense, c’est le Saint Graal pour n’importe quel auteur.



L’auteur a participé aux rencontres "Palabres autour des arts" en janvier 2013 et a eu l’occasion de parler de son roman.


Remington

Mamadou Mahmoud NDONGO

Éditions Galimard, continent noir (2012)