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Jet d’encre

« Zoo City » – ou l’animal expiatoire

Lauren Beukes

dimanche 11 janvier 2015, par Doszen

« Ici, les immigrés s’abritent des violences xénophobes dans des refuges ignobles, qui sont néanmoins toujours préférables à la vie dans la rue, pendant que la nouvelle élite noire partage un déjeuner d’affaire avec la vieille élite blanche dans les restaurants branchés des banlieues verdoyantes. Corruption et népotisme glissent leurs doigts poisseux à tous les niveaux du pouvoir, comme à la sale époque de l’apartheid »

"Zoo City" - Lauren Beukes

Attention … Coup de Cœur !!

Autant l’annoncer tout de suite sans faire le lecteur capricieux, ce « Zoo city » de Lauren Beukes est entré dans le top 10 de mes coups lectures de l’année, directement à la 4ème place. Il détrône tout de même de le « L’amour avant que j’oublie » de Lyonel Trouillot.

« Étonnamment, je me sentais bien avec lui. Mon Shavi est une salope. La plupart des mashavi le sont. Mais j’avais tendance à me montrer cynique avec les gens avant de pouvoir sentir les fils des objets perdus qui émanaient d’eux, comme les fissures irradiant d’un impact sur une vitre. Lui, il n’avait pas de fil. Des choses perdues, oui, incroyablement faibles et floues, autour de lui, mais pas de connexions. Évidemment, il y avait quelque chose d’horrible dans son passé, d’où la Mangouste, mais il la portait bien, comme une vieille chemise fétiche qui est passée des tas de fois au lavage. Il s’est avéré que ce n’était pas une coïncidence. »

Lauren Beukes est Sud-Africaine, femme, auteure. Rien de très original là-dedans. Puis, son particularisme apparaît, elle met en scène des personnages noirs – bien qu’on ne s’en rende quasiment jamais compte si ce n’est au détour d’une phrase-flash – dans des environnements de science-fiction.
Dans le cadre de la rencontre « Palabres autour des arts » de janvier 2015 qui sera consacré à la science-fiction et l’héroïc-fantasy dans les littératures des Afriques, j’ai eu un mal de chien à trouver des auteurs du continent qui se soient attaqués à ces genres littéraires. J’ai donc sauté de joie en découvrant Lauren Beukes (mais aussi Momi Mbuzé ou la nigériane naturalisée américaine Nnedi Okorafor) et j’ai vu mon bonheur grimper d’un cran, à chaque minute de lecture, en découvrant ce magnifique récit, qui est une sorte d’uchronie d’une Afrique du Sud "destroye " et rongée, non pas par le poison de l’Apartheid, dont il n’est d’ailleurs jamais question dans le récit, mais par le crime, la violence représenté par les animalés. Patience, j’explique.

« Je m’appelle Eloria Bangana. Je vis en RDC, la république démocratique du Congo. J’ai treize ans. Lorsqu’ils ont tué ma famille, j’ai dû faire un choix : me prostituer ou me faire passer pour un garçon et travailler dans les mines de Coltan.
Par chance, je suis petite pour mn âge. La plupart des gens croient que j’ai neuf ou dix ans. Alors, j’ai choisi les mines parce que je peux me faufiler dans les sous-terrains avec ma pelle et mon petit seau pour tamiser, même si j’utilise surtout mes mains. Parfois, mes doigts saignent d’avoir gratté la terre. »

Lauren Beukes nous campe une Afrique du Sud optimiste-béat dans le fait que la société n’est pas traversée par la problématique raciale, que les « camps » fait de couleurs différentes n’ont pas leur place dans cette nation résolument arc-en-ciel, mais, la nature ayant horreur du vide que causerait une absence de haine, a remplacé le problème de race par l’éternel problème de la misère, de l’inégalité et, surtout, elle a fait descendre sur la terre un un fléau – magique ? – que personne n’a réussi à expliquer ; l’animalisation de toutes les personnes qui se sont rendus coupables d’un crime de sang. Ou plutôt qui se sentent coupable, d’un crime de sang ?

« Je n’avais pas encore le Tapir quand je suis arrivé ici. Il s’est pointé la deuxième nuit, après que je me suis fait tomber dessus par deux mecs du gang 4161 de Melbourne. Coup de bol, mon pote Len était déjà sur place et connaissait leurs petits jeux. Il m’a filé un schlass à mon arrivée, lequel a fini dans le cou d’un des mecs, un connard tatoué appelé Deke.
Cette nuit, au moment où Deke canait dans un hôpital à Geelong, le Tapir est apparu devant ma cellule d’isolement. Je l’ai entendu gratter à la porte. Ça m’a foutu une trouille pas possible. C’était une femelle. Les gardes ont dit qu’elle était encore pleine de boue de la jungle quand ils l’ont trouvé. »

Nous sommes dans un monde où, la nuit qui suit le crime commis, un animal quelconque vient frapper à la porte du meurtrier et s’attache à lui à vie. Impossible d’échapper à ce destin. Une grande distance entre l’homme et son animal crée des douleurs intolérables et la mort de l’animal entraîne celle de l’homme par ce que tous appellent, l’esprit rempli de frayeur, "le contre-courant". Les coupables de crimes sont donc affublés, en permanence d’un animal (ours, chien, papillon, tigre, marcassin…) sans que personne ne sache vraiment sur quels critères sont "choisis" les animaux. Et il est, évidemment, quand on est dans une prison de haute sécurité, il vaut mieux être animalé à un tigre du Bengale qu’à une souris grise de Brasilia. Quoi que…
Quoi que, là où Lauren Beukes introduit encore plus de fiction-magique, c’est que les animaux apportent à leur "compagnons" des capacités nouvelles, des « pouvoirs » - mutants selon l’univers Marvel – qui vont de la simple capacité à inspirer de l’empathie, au pouvoir de "posséder" d’autres corps. Un animal "fort" ne donne pas toujours un "pouvoir" fort.

« Par le passé, Odi Huron a engendré tubes et stars à la pelle. Il fait partie du tissu culturel en mutation constante de l’Afrique du Sud depuis les jours sombres de l’apartheid, et il a su traverser la révolution Arc-en-ciel et l’ère post-Born Free. Il est aussi l’homme qui a presque entièrement disparu de la vie publique depuis le drame de Bass Station et la mort de Lily Nobomvu. »

Zinzi, le personnage principal de ce « Zoo City », est donc une jeune dame, au passé douloureux, animalée à un paresseux, et vivant dans le ghetto le plus glauque et mal famé de Jo’Burg. Elle y vit avec Benoît, animalé à une mangouste, qui est un congolais au passé trouble qui a fui la guerre.

(ndrl : vu le nombre de référence au lingala et ce nom si symbolique de Nzinzi, Lauren Beukes a sûrement de belles connivences avec des congolais de la RDC, et ça me fait une joie un peu idiote lol)

Zinzi a hérité, avec son paresseux, du don de retrouver les objets. Elle n’a qu’à regarder quelqu’un pour qu’apparaissent devant les les « fils » de tous les objets, êtres, que cette dernière a perdu. Plus vous avez perdu de choses, plus dense est le halo vous entourant. Alors Nzinzi utilise ce don pour retrouver des choses sans importances pour des gens aussi pauvres qu’elle. Et, à côté, elle vit d’arnaque à l’ivoirienne. Ces messages envoyés par million, au hasard d’adresse mail c trouvé sur le Net, qui sont faits de larmoyantes demandes d’assistance avec, en contrepartie d’un geste si plein d’humanité, des promesses de pactoles. Et un jour, deux animalés au profil des plus effrayants, lui demandent de retrouver Songweza, la moitié, jumelle, d’un duo de chanteur ado stars. Là débutent, vous vous en doutez, les problèmes…

« Il nous faut du temps pour trouver la force de nous relever et de poursuivre, et lorsque je passe Paresseux sur mes épaules, il est tellement trempé que j’ai l’impression qu’il a pris cinq kilos. Il est terriblement silencieux. Ce qui indique que nous sommes vraiment dans la merde, puisqu’en général il est le premier à se plaindre en braillant à mon oreille. »

J’ai véritablement adoré lire ce roman. L’écriture est fluide et moderne, le rythme est digne des meilleurs polars, soutenu et dynamique, la tension monte petit à petit, en vrai thriller et les dernières pages du livre nous mettent dans une angoissante attente du dénouement. L’on s’attache à cette Zinzi revenue de tout et qui s’accroche à la vie, après avoir touché le fond du fond. L’idylle avec Benoît n’a rien d’une amourette à l’eau de rose et pourtant l’émotion est là et les personnages « méchants » sont vraiment terrifiants. Lauren Beukes utilise des extraits d’articles de journaux pour nous donner des informations sur l’environnement (notamment sur les animalés) sans alourdir le récit d’explications trop longues.

Ce livre est surtout un polar, thriller, dans une réalité alternative de l’Afrique du Sud, mâtiné d’inexplicable, de magie et de criminels dopés au surnaturel. C’est haletant, bien écris, passionnant et il accrochera – à mon humble avis – aussi bien les vrais férus de SF que les nouveaux venus dans cet univers littéraire.
A découvrir absolument.


Zoo City

Lauren Beuke

Éditions Presse de la cité, 2013