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Virées du week-end

Identité musicale nationale

dimanche 6 décembre 2009, par Doszen

La musique adoucie les mœurs paraît-il. Je suis dubitatif car je ne suis pas sûr que certaines personnes verraient leurs rages adoucies s’ils avaient fait la même tournée des bars/pubs que moi ce WE. Je sais qu’un bon nombre d’entre vous, chers lecteurs, pense tout de suite "tournée des bars = poivrot, donc normal que si le gars a dégueulé devant le perron d’une bourgeoise parisienne, celle-ci ait eu la rage en appelant la BAC à la rescousse ".
Non, non, non. N’allez pas trop vite en besogne. La rage dont je parle ne fait pas référence à moi titubant le long du quai Valmy et marchant sur la queue du chien d’un SDF. Non. La rage dont je parle ce serait celle d’un condisciple à Mr Besson adepte de la mise en boîte de l’identité nationale. La rage qu’il aurait eu s’il était entré dans les deux pubs qui accueillaient les concerts soul des "Caona Women of Soul" et celui de la soirée "Salsa con todos" que j’ai eu le plaisir de suivre.

Vendredi 27, club le Bizz’art dans Paris 10e. Endroit spécial. Un bar sur la gauche en entrant dans une large pièce dans laquelle on a fait de l’espace pour installer une mini scène. Et perché en hauteur, des clients du resto en mezzanine qui mangent tout en bénéficiant d’une vue imprenable sur les artistes. On dirait un mélange entre une salle pour opéra et un atelier d’usine de prêt-à-porter.
Les instruments de musiques qui jonchent la petite scène, l’ingénieur son qui s’affaire dans ses réglages. Ambiance zen, tranquille et un soupçon de désordre qui conforte cette impression de "cool-itude" extrême.

Dès l’entrée dans le pub branché on se dit que le pauvre adhérent UMP qui mettrait les pieds dans ce bar aurait une apoplexie en voyant ces murs rouges, symbole des révolutionnaires de tous poils, et la demi-douzaine de blancs, rasta enturbannés, qui peuplent la salle. Le militant FN lui aurait au mieux une AVC qui le laisserait paralysé à vie sous le choc de la vision de ce patchwork noir, blanc, métis, asiat – je déteste le terme « jaune » – qui sont venus écouter la soul proposée par ce quatuor de filles noires et métisses.
En fait, je m’attendais à un quatuor classique, et le début du spectacle allait plutôt dans ce sens là, les 4 filles qui font 2 – 3 ? – tours de chant a cappella à vous faire frissonner les tympans. C’est de voir CAE s’installer seule sur scène avec son guitariste Clément Simounet qui ma fait réaliser que le CAONA n’était pas un groupe mais des artistes individuels qui se sont associés pour faire un show commun. J’allais avoir droit à 4 minis shows au lieu d’un seul. Bien, la soirée s’annonçait bien.

CAE fut donc la première à se lancer. Je vous préviens, n’ai pas l’oreille jonchée de notes de musique et mon appréciation des talents des chanteuses est surement sujette à caution. Mais bon, dès les premières notes mon opinion était faite sur CAE ; une Erikha Badu enfantée par Haïti. Elle n’arborait pourtant pas le look très "roots revendication" du paquet de filles présentes dans l’assistance, mais le phrasé parfois saccadé de la première chanson, son son groove-soul sur guitare m’a fait penser à Erika. Et le contraste suprême quand elle entame avec Simounet une – très belle – chanson, car lui il a sans aucun risque de se tromper des sonorités à la James Blunt. Sur leur seconde chanson j’ai faillit entonner un "You are beautiful" à gorge déployé ; mais bon… le ridicule contribuant à énormément de suicides j’ai préféré m’abstenir.
Le seul bémol ? Mais vraiment le seul, c’est que CAE aime trop le style. Une vraie noire. Comment sinon expliquer qu’elle ait pris sa guitare entre les mains, ait adopté une position très style –justement –crooneuse et qu’elle n’ait pas joué une seule note de cette guitare. Moi j’appelle ça une "feinte" pour l’amour du style…

FERRICIA c’est une petite bonne femme, la trentaine très certainement - mais avec ces noires on ne peut jamais jurer de leur âge – tout droit venue de ses states natales pour nous faire un show très "revendication-peace and love-revolte". Heureusement pour elle que la moitié du public semblait être fait de english speaking people car sinon son style très interactif avec les gens aurait fait un flop, et ça aurait été dommage.
Ferricia a une voix puissante de chanteuse de gospel mais ses moments de dialogue-chanté me faisaient furieusement penser à Jill Scott. Une Jill Scott très énervée qui parlerait de la condition des noirs aux US, de la catastrophe en Nouvelle-Orléans et d’un juge qui aurait décidé je-ne-sais-quoi pour faire je-ne-sais-quoi… en gros on s’en fout.
Je comprends la frustration des anglo-saxons quand ils viennent en concert en France, il est difficile d’interagir avec un public qui comprend à peine ce qu’ils disent. Enfin, là j’exagère un peu, il reste la moitié bilingue de la salle. Encore une fois les adeptes de Besson seraient fous de voir cette « intrusion » de l’anglais dans leur identité nationale.

Le Troisième passage c’était TI. Ti Harmon… « mon cœur tu t’en souviens tu n’en menais pas large » est la phrase de Brassens qui me traverse l’esprit quand j’y repense. Po po po po… mais quelle voix ! Elle a tout, impossible de la situer dans le panel des voix que j’ai dans ma mémoire. Parfois j’ai un écho de Toni Braxton qui me revient, puis elle ressemble furieusement à Des’ree mais la façon dont elle monte dans les aigus me secoue comme une Alicia Keys. Magnifique !
Et en plus le quatuor qui l’accompagne est génial. Je ne sais pas les situer ; jazz, pop, rock… Sur « These days » le guitariste s’est fait plaisir avec un solo électrique digne d’un Ayatollah du hard rock ; le batteur, je ne sais pourquoi, me fait penser à un écossais, très « sir Connery » avec sa chemise immaculé croisé façon chef cuisinier. Cette chanteuse est tout simplement géniale et les musiciens sont top.
Le bémol ? Quel bémol !? il n’y a aucun bémol, c’est comme le cochon, tout est bon à prendre, rien à jeter !

La vraie bonne idée était de mettre l’énergie entrainante de KADJA NSE en fin de soirée. Elle a mis le feu cette fille. Le premier chant m’a surpris. Un mélange jazzy avec une sonorité guitare très « Salif Kéita ». Il me semblait presque entendre des notes de balafon. Le guitariste, un des rastas blancs qui peuplait la salle, arrivait à sortir des notes très « nord du Mali » mixées à du jazz, du reggae énervé, de la pop… 20/20 pour lui. Le genre de gars qui vous font insulter vos doigts pour leur incapacité chronique à sorti un « Do » d’une flute traversière. La voix de Kadja est puissante, et parfois des accès très sensuels vous prennent par surprise.
Le seul truc négatif c’est que les fakes « d’accent africain" » "dont elle nous gratifiait à interval regulier ça faisait un peu too much. Ça me faisait penser à Yannick Noah cherchant le rire de son audience avec un humour « cheap ». Mais le mélange de sons Ouest-af et l’espèce de groove US de la 1er chanson a suffit pour me la faire pardonner. Really good.

Ma seconde soirée « salsa por todos » à l’Etage un pub/boite du 10e était d’une autre teneur. Bien sûr j’ai regardé le groupe comme j’ai zieuté les moindres formes des filles du CAONA. Mais il faut avouer que le chauve chanteur latino et ses compères guitaristes et batteurs qui suintaient la testostérone n’ont pas monopolisé mon attention bien longtemps. Mon regard s’est perdu dans la salle.
Le spectacle de la France qui ferait exploser le site internet de Besson et du figaro sous le courroux des garants de « l’identité ». Noir(e)s, blanc(he)s, latin(a)os, maghrébin(e)s,… impossible de savoir qui était qui dans cette salle grouillant de danseurs.
Déhanchés coléreux, bassins enfiévrés, pas de deux supersoniques… l’atmosphère n’était qu’à la danse, rien qu’à la danse. Gros, grand, petits, maigres, moches, beautés fatales, qu’importe ? Tout ce qui frappe c’est que tout le monde danse avec la même ferveur le même laisser-aller.
Ne vous fier pas aux regards renfrognés de certains, à l’air perdu des autres ; ils sont concentrés sur la musique et ils sont tous dans une autre dimension. Débutants ou experts ? Comment le saurais-je, je suis plus nul que tous ici et on dirait que personne n’en a vraiment cure. Certains récitent leurs gammes, d’autres inventent leur salsa en permanence, on s’en fout, l’important c’est de se laisser trainer par le son latino. Je me rappel pourquoi j’aime la salsa et ceux qui aiment cette musique, ce sont des amoureux de la beauté du mouvement, de la sensualité des corps et des adeptes de la « liberté de bouger ».

Encore et toujours une seule question me taraude l’esprit en ces temps de questionnement sur ce qui doit être inscrit dans le « code blanc » du citoyen français que nous concocte le ministre français Besson ; quid de ceux qui ne sont pas adeptes de violons et d’accordéon ? Quid de ceux qui ne lâchent pas une larme en écoutant Boris Vian ou les petits chanteurs à la croix de bois ? Quid des français qui à « l’Avé vernus corpus » préfèrent le « Mister Loverman » de Shabba Ranks ?
Une fois que la boîte à idée de l’identité nationale de l’état français aura défini le français et son identité musicale, entre autre, on fait quoi de tous les autres dont « l’oreille » aura été corrompue ? On leur colle un pin’s « français de ligue 2 » sur le poitrail ?