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Virées du week-end

La "Venus hottentote" sous toutes ses formes

dimanche 14 mars 2010, par Doszen, Dridjo

Au détour d’une page internet je suis tombé sur la pub de ce spectacle. «  "Vénus", d’après l’histoire de la "Venus hottentote" », et ça a tilté dans ma tête. Je mentirai si je disais que j’ai eu tout de suite le flash sur l’histoire sombre et peu ragoutante de cette femme Khoïzan.

Le dégoût aurait dû m’habiter en premier. L’histoire de cette esclave Sud-africaine amenée en Europe dans des conditions pas très claires, trainée et exhibée comme un animal à travers l’Angleterre, qui fut cobaye de chercheurs en France qui se sont servis d’elle pour justifier toutes les théories racistes possibles et imaginables sur les noirs. Pour finir, elle mourut dans des conditions glauques en ayant, entre autres, servi d’objet sexuel à tous les déviants qui se faisaient des films X zoophiles dans leur tête d’européens. J’aurai dû penser tout de suite au destin tragique de cette femme africaine que trop peu de gens connaissent.
Et pourtant non. A ma grande honte, les premières pensées n’ont pas été pour le destin de Saartjie Baartma mais, en premier, c’est l’image de son mythique derrière qui a tenté de s’inscrire dans mon cerveau !

Mon esprit refusait d’occulter le fait que Saartjie aurait pu être l’ancêtre des années 1800 de Buffie Da body – pour les connaisseurs – et encore, la version 21e siècle aurait crevé de jalousie devant le derrière méga-géant de son aïeule Hottentote. La Venus est restée dans l’histoire pour son immense derrière de callyphige qui aurait aujourd’hui fait d’elle le fantasme ultime de 80% des noirs qui m’entourent.
Malheureusement, ce tour de fesse magnifique a aussi été la cause de sa déchéance. Les colons/esclavagistes blancs de 1810, habitués à la « platitude fessiale » des femmes européennes ne pouvaient admettre que Dieu les priva de ce type de cul-tissime beauté, eux de si fervents chrétiens !
Ils l’ont traité en animal, en monstre de foire jusqu’à la transformer en poisson rouge, conservé dans les bocaux de formol des musée. En petits morceaux. J’en ai la chaire de poule dans le bas du dos.
L’américaine Suzan-Lori Parks a repris cette histoire en 1996, et en a fait une pièce de théâtre. En choisissant délibérément de s’éloigner, quelque peu, de la trame historique elle a fait de la Venus non pas seulement une victime, mais aussi une femme forte, qui aurait choisi de gré un destin qui au final lui a joué un sale tour.

Mon malaise était grand devant le choix de porter en public cette version du destin de Saartjie. Était-ce bien indiqué de faire découvrir aux gens ce personnage sous l’angle déformant d’un roman mâtiné de féminisme ? Même de bonne foi, les spectateurs ne risquaient-t-ils pas de se contenter d’une version « light » de cette histoire que je savais dure et douloureuse ?
Je n’ai pas eu de réponse. C’est un casse-tête, type paradoxe de l’œuf et de la poule. La forme romancée aide à mettre en lumière une histoire qui sinon resterait dans l’ombre, mais la connaissance préalable de l’histoire aide à accueillir ses formes « déviées » avec plus de recul. Alors qui doit venir avant l’autre ? Perso, je n’ai pas encore trouvé ma chapelle.

Cependant, assez vite le fessier protubérant de Buffie da Body s’est effacé de mon cerveau – quoi que… - pour faire place à une attente curieuse :

  • Comment les auteurs allaient-ils raconter cette histoire douloureuse, et sombre, via une pièce moderne dans cette ère où les gens hissent la légèreté – rigolarde de préférence - au panthéon, et où une carte UCG illimitée fait office de sésame culturel !?
  • Comment vont-ils faire, pour faire s’intéresser les noirs à une histoire d’africaine via un art contemporain, quand dans mon entourage ceux qui vont au théâtre se comptent sur le doigt d’une main « édoigtée »  !?
  • Comment vont-ils faire, pendant deux heures, pour pousser des blancs à contempler un passé dans lequel ils sont loin d’avoir le beau rôle, quand l’Europe entière pousse des cris d’effroi - ho, vils concurrences victimaires ! - lorsque l’on ose à peine évoquer le terme « Commerce triangulaire » !?
    Bref, j’étais curieux de découvrir le spectacle, j’étais dubitatif quand au résultat final, j’étais septique devant l’accueil potentiel des spectateurs. Et donc je me suis précipité au Théâtre Athénée-Louis Jouvet.

Évacuons tout ce qui concerne la forme, je devrai me contenter de dire que c’était bien, sinon je risquerais de multiplier à l’infini des adjectifs extatiques qui me feraient passer, pour sûr, pour un exalté. Mais je vous jure que si vous y aviez été, vous aussi auriez craqué.
Vous auriez craqué devant la mise en scène totaly space de Cristèle Alves Meira. Moi, je dis que quelqu’un capable d’imaginer cette façon de jouer avec la scène, cette utilisation de l’image et du son en incrustation du « live » des vivants, cette justesse de jeu entre les 7 comédiens aux personnages multiples… moi je dis qu’elle doit avoir un grain cette fille. Un bien joli grain.

Et les comédiens ? Les comédiens vous auraient aussi retourné le cerveau.
J’ai flashé sur les 3 cœurs et leurs multiples rôles. N’importe quel amateur de sport collectif verrait le travail d’équipe parfait, tellement ils sont coordonnés, tellement ils bougent, dansent, déclament ensemble, en cohésion, pendant deux heures. « Good game » comme dirait le quinze à la rose.
Le comédien – dont j’ai perdu le nom, sorry – qui joue entre autre la montreuse de phénomène réussi un tour de force ; il jour les personnages odieux avec tellement de crédibilité qu’on ne peut s’empêcher de penser « ho le bâtard... » . Quand on est sur le point de sauter sur la scène, pour lui mettre une mandale, on se rappelle que ce n’est que du théâtre, et on se dit chapeau l’artiste, tu m’y as fait croire.
Le docteur est un havre de sécurité dans cet ilot de bizarrerie. Lui, c’est le personnage « sobre » de la pièce. Si cela est possible. Il nous sert de bouée qui nous rappelle que ce n’est pas que du jeu, que tout ceci est tiré d’une réalité vraie, même si l’exactitude des faits s’est perdue dans le brouillard du temps. Nous en avons tous croisé, ces docteurs – ou non – qui derrière de bons sentiments cachent des à priori et des clichés. Pire, une chevaleresque hypocrisie. Le seul hic c’est qu’il ne m’a pas révélé où il s’était chopé son costard en velours rouge.
« Le noir déterreur de cadavre ». Rien que le fardeau d’un personnage ayant un nom pareil est digne du Nobel de la zénitude. Et le comédien parvient à porter son rôle de narrateur/acteur avec une belle présence. Il fait parfaitement le lugubre, corbeau de malheur qui égrène les documents historiques pour que vous n’oubliiez pas que toute cette histoire est dramatiquement vraie. La seule question est, pourquoi est-il noir ce déterreur de cadavre !?
Gina Djemba, la Venus de la pièce. Je sais que je devrais taire le macho en moi et ne parler que du jeu d’acteur. Pas de visions sexistes qui consisteraient à mettre en avant le fait que cette fille est sublime, simplement un avis sur la pièce et sur son interprétation. M’ouai… Je ne peux pas !
Ok, elle envahi superbement la scène. Ok, elle passe de l’excitation à l’indolence avec un art affirmé. Ok, ses rires stridents et particulièrement irritants étaient tout à fait réussis.
Mais je n’ai pas fermé mes yeux sur ses contours voluptueux. Ais-je vraiment péché ? Être ébloui par une beauté dans une pièce qui parle d’une belle africaine aux formes généreuses, c’est le Graal qu’il me fallait pour cette soirée théâtre.

Je suis entré dans ce Théâtre Athénée plus que réservé, j’en suis sorti en inconditionnel afficionados. Et cette fois encore je vous demande, non, je vous gueule dessus, pour que vous lâchiez vos écrans plats ou cathodiques et que vous alliez sentir l’odeur des vivants qui écoulent leur art en live.
Allez découvrir ce qu’est un spectacle qui n’a pas encore été mis en boîte format HDV, ce qu’est un comédien qui ne subit pas la loi du « coupé ! ».
Allez au théâtre voir « Venus ».

Messages

  • Je serais absolument incapable d’écrire une aussi bonne critique que la vôtre mais j’y souscris 100/100. Et je n’ai toujours pas compris pourquoi la salle était à peine remplie à moitié le jour où j’y suis allée (le 17 mars) ni pourquoi plusieurs personnes ont profité de l’entracte pour quitter la salle. Je reconnais que j’ai moins accroché à la seconde partie du spectacle mais ce n’est pas une excuse pour ceux qui sont partis du théâtre avant...
    Pour remplir une salle aujourd’hui, sans doute faut-il des personnages TRES médiatisés, qui passent à la TV ou bien dans VOICI, un spectacle pas plus d’une heure surtout, au-delà on a faim, on a soif, on tousse, on remue et on discute avec son voisin, mais si...c’est ainsi... et de préférence dans une salle très re-médiatique.
    Et pourtant... ce soir j’était à Pleyel pour une concert de l’orchestre Colonne (ce n’est pas n’importe quoi !) eh bien à nouveau la salle n’était qu’à moitié pleine. J’oubliais, il y avait un match à la TV !