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Edito

Ouologuem, l’Afrique et le plagiat... territoires interdits

lundi 19 mars 2018, par Doszen

Wikipédia  : « Le mot latin masculin plǎgǐārĭus, ĭi désigne un débaucheur d’esclave d’autrui, un receleur d’esclaves, c’est-à-dire de biens meubles dérobés illégalement ainsi qu’un marchand qui vend ou achète comme esclave une personne libre ou un enfant ravi à sa famille libre. Le mot latin provient du verbe plăgiāre, qui signifie simplement à l’époque de Ciceron « voler un homme », selon le Gaffiot. Le plǎgĭum est alors une activité criminelle, car l’autorité régule et contrôle le commerce des esclaves. »

J’ai découvert Yambo Ouologuem de par la douloureuse histoire qui a entouré la publication du livre « Le devoir de violence » en 1968. Ce livre, à sa sortie, reçoit le prix Renaudot. Ce n’est pas anecdotique quand on sait qu’il faudra attendre les années 2000 pour revoir un africain gagner ce prix. Pourquoi cette absence ? Peut-être, insinuerait-on, à cause du scandale qui a entouré ce livre : Yambo Ouologuem aurait plagié de larges pans de romans existant. Le critique Bernard Mouralis dira « il emprunte non seulement à Graham Greene et à André Schwarz-Bart, mais aussi à Flaubert, à Maupassant, aux historiens arabes, au Coran et à la Bible, pour mieux révolutionner le langage et l’architecture de la fiction africaine. »

Depuis, de nombreux articles, textes, discussions, forums ont entouré le destin de ce livre au destin maudit. Surtout si l’on rajoute à la dramaturgie que l’auteur, sans doute dévasté par les accusations et la mise au ban par l’intelligentsia littéraire de la métropole, va se retirer du monde et vivre en reclus dans son village malien de Savaré.
La question n’est pas de revenir sur les hurlements des écrivains de l’époque qui, à l’image de Senghor, ont considéré cette œuvre comme une trahison, notamment en regard de la négritude. La question n’est pas non plus d’ergoter sur la qualité littéraire énorme du « Devoir de mémoire », reconnu depuis des années par tous les écrivains, jouissant d’une reconnaissance indiscutée et d’une réhabilitation réelle après les années de scandale.
Réhabilitation. C’est le mot qui, dans mon humble moi, me triture la conscience et le cerveau.
Une œuvre reconnue majeure pour la littérature africaine, voilà le genre de livre sur lequel j’aurai dû me ruer depuis des années. Mon inconscient m’a toujours retenu.

Digression opportune.
Marion Jones. Reine adulée du sprint, fierté nationale et internationale noire pendant 6 ans. Le 5 octobre 2007, elle est contrainte d’avouer avoir pris des stéroïdes à partir de 1999, ce qui lui coûte ses 5 médailles olympiques (3 d’or, 2 de bronze) acquises aux JO de Sydney, ainsi que ses deux titres remportés aux championnats du monde d’athlétisme 2001 (Wikipédia). Condamnée à 6 mois de prison, aujourd’hui, elle a totalement disparu des radars de la presse et du péquin lambda fan d’athlétisme. Elle serait aujourd’hui totalement ruinée. Et, pas un article, pas un post facebook n’est m’est jamais remontée la plaignant ou tentant de « réhabiliter » cette sportive qui, pourtant, avant de connaître l’opprobre, a travaillé dur pour atteindre le haut niveau. Le dopage est LA limite inacceptable pour le sport, la ligne rouge à ne pas passer, la tricherie ultime.
Fin de la digression.

Yambo Ouologuem n’est pas Marion Jones. Ni Calitxe Beyala. Ni Joseph Macé-Scaron. Ni Patrick Poivre d’Arvor. Ni Alain Minc. Ni Henri Troyat. Ni, ni, ni.
Non, Yambo Ouologuem est une icône, une vie romanesque dramatique et, surtout, symbole de cette Afrique qui se fait avilir par les occidentaux (sic !). Yambo Ouologuem est un symbole qui doit être réhabilité. Et il semble que la machine à réhabilitation se soit mise en branle sans que personne ne songe à mettre le moindre bémol à sa course.

J’ai entendu, à propos de Ouologuem, toutes les excuses possibles et imaginables (voir article du nouvel Obs) :

1 – « C’est pas du plagiat, c’était pas de l’art » : Yambo était - selon ses proches - un travailleur acharné et qui a fait un travail de collage artistique, très conscient de ce qu’il faisait. Il ne plagiait pas, il transformait. Enfin, selon certains.
2 – « C’est de l’intertextualité ». J’ai appris ce mot grâce à l’affaire Macé-Scaron. En gros, on ne copie/colle pas, on rend hommage. L’emprunt est tellement évident, le texte de base tellement évident que l’auteur n’a pas besoin de préciser l’emprunt. C’est comme si, au détour d’un de mes post-facebook long comme le bras, je balançais que l’art ne fait pas l’armistice avec l’arnaqueur. Tu ne fais que suivre la vague, espèce de surfeur, sans avoir besoin de préciser que Mbarali Claude est à l’origine de cette fulgurance car, évidemment, tous les lecteurs de ce post l’auront compris. N’est-ce pas ?
3 – « Montaigne l’a fait ». Dans le cas de certains défenseurs de Yambo que j’ai entendu, pourquoi à Montaigne, le blanc, on accorderait l’approbation et l’admiration et pas à l’africain. Argument spécieux qui me fait penser au prosaïque « comparaison n’est pas raison ».
4 – « l’éditeur a oublié de mettre les guillemets aux citations ». C’est l’argument qui revient le plus. L’auteur aurait mis des guillemets que l’éditeur n’a pas repris. C’est du PPDA (« c’est pas moi, c’est mon ombre littéraire ») dans le texte. Le refus de responsabilité. C’est pas moi, c’est lui. Sachant que dans le texte de Yambo il n’y a pas simplement des phrases reprises mais parfois de paragraphes entiers qui sont intégrés dans « Le devoir de violence ». Tout cet embrouillamini ne serait qu’une simplement question de guillemets supprimés par un opérateur bureautique indélicat.

André Schwarz-Bart aurait eu l’élégance de répondre au plagiat par un « je le prend comme un hommage ». Classe.Les avocats américains de Graham Greene, eux, ont fait preuve de moins de romantique indulgence et ont attaqué en justice puis fait mettre au pilon des centaines d’exemplaires du livre « Le devoir de violence ». Une chose est certaine, quelque soient les louvoiements des défenseurs de Yambo Ouologuem, il est admis que les emprunts existaient, que le plagiat – artistique ou non, voulu ou non – est réel. Mais le microcosme – micro car le monde large de la littérature universelle s’en fiche totalement – littéraire africain veut absolument blanchir l’auteur Yambo et sa mémoire. Et, personnellement, je pense qu’il faut arrêter.

Le dopage dans le sport est la chose la plus haï. Elle est symbole de la plus grande injustice, le déni totale de l’adversaire et le symbole du mensonge envers les spectateurs. Le plagiat est son équivalent en littérature. Talent ou pas talent de l’auteur, tenter de le blanchir de ça, c’est particulièrement indélicat. Notamment parce que voler les idées d’un autre, c’est basiquement, mal. Le faire de « bonne foi » n’enlève en rien ce mal. Tenter en plus de faire passer les accusateurs pour des jaloux, des racistes ou, pire, des imbéciles qui ne comprennent rien à la littérature, c’est, pour le coup, une défense répugnante. Et tenter, comme en ce moment, de faire passer le plagiaire pour une victime injustement salit… c’est pire. Et ce quelque soit les intérêts personnels (parents, amis, ou autres), littéraires (qualité d’écriture, point de vue iconoclaste par rapport à l’époque) ou économique avec la résurgence des republications.

Le cas « Le devoir de violence » ne devrait pas, pour nous les africains, amener une discussion sur la réhabilitation ou non de l’auteur. Si ce livre est d’une qualité telle qu’elle doit rester dans le patrimoine universel et faire fi des erreurs de l’auteur, soit. Alors ayons un débat comme sur Céline. L’auteur était une crapule et, vue la qualité de sa production, on a décidé – à tort ou à raison – de séparer l’auteur de son œuvre. De continuer à lire « Voyage a bout de la nuit » ou « Mort à crédit » mais d’oblitérer complètement les idées de Louis Ferdinand Céline (Voir le récent tollé face au projet de réédition de ses pamphlets par Gallimard). Lisons le livre, et c’est tout.